Un lecteur nous écrit :
« Comme vous j’ai entendu la phrase prononcée par l’épouse de Dominique Bernard aux obsèques de ce professeur assassiné en octobre : "Il n’aimait pas l’informatique".
Comme vous sans doute, cette phrase m’a obsédé pendant des jours. Et Macron et ses sbires, assis, obligés d’écouter ça, sans rien dire. Juste cette phrase : "Il n’aimait pas l’informatique". Il y a des phrases qui visent juste.
L’intelligence artificielle ? Le big data ? le deep learning ? Les algorithmes ? Foutaises : autant de mots pour que nous restions fascinés (comme disait Ellul), par ce qui est déjà une vieillerie : l’informatique.
Je pensais que vous écririez quelque chose là-dessus, vous avez peut-être été tentés, même si ce n’est pas de l’enquête. Cette phrase a dû réunir beaucoup de gens qui se sentent séparés, isolés : ils n’aiment pas l’informatique. Et ils sont plus nombreux qu’on ne le croit. Et ils vous lisent. Il est possible que Dominique Bernard vous lisait. Comme il est probable que Blanche Gardin vous lise. Nous ne sommes pas si minoritaires. Ça fuit de partout. »
Il y avait trop de bruit et de « direct » aux funérailles de Dominique Bernard pour en rajouter. Mais notre lecteur a raison, l’épouse de celui-ci a peint le portrait d’un homme qui, pour ce qu’on en perçoit, vivait contre son temps. Sans tapage ni vociférations militantes, dans la compagnie des anciens et l’amitié des livres, il ressemblait à ceux qui traînent des pieds sur le tapis roulant du progrès, ou tentent vainement de le remonter. Et le tapis les emporte. Un salut des Chimpanzés du futur à Dominique Bernard, professeur de lettres assassiné à Arras par un islamiste.
« Il aimait Julien Gracq, Flaubert, Stendhal, Balzac. Il aimait Proust, Claude Simon, Céline et Pierre Michon. Il aimait la poésie, René Char, Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé, Valéry. Il aimait la philosophie. Il aimait le cinéma, Truffaut, Ford, Kubrick, Lubitsch, Orson Welles. Il aimait le baroque. Il aimait Ozu, Miyazaki, Kurosawa, Almodovar, Fellini, Visconti. Il aimait l’Italie, l’italien, la Toscane. Les fresques de Giotto, Masaccio, Gozolli. Il aimait le Titien et Veronese, Le Caravage. Il aimait Shakespeare, Racine, Beckett. Il aimait Van Gogh, Picasso, Vermeer, Matisse, Bonnard, Gauguin, Manet, Courbet, Cézanne, Soulages, Marquet, Hockney. Il aimait Bach. Il aimait Beethoven, Fauré, Haydn, Ravel, Mahler. Il aimait le gothique, les cathédrales, qu’on découvrait de ville en ville. Il aimait les glaciers préférés du Routard. Il aimait la Provence, ses couleurs, ses senteurs. Il aimait les étangs, les rivières et les fleurs, les forêts. Il aimait la lumière rasante du soir.
Il n’aimait pas l’informatique, et les réseaux sociaux. Le téléphone, il n’en avait même pas.
Il n’aimait pas la foule, ni les honneurs. Les cérémonies qu’il avait en horreur. Sensible et discret, il n’aimait pas le bruit et la fureur du monde. Il aimait profondément ses filles, sa mère et sa sœur. Nous nous aimions.Isabelle Bernard, 19 octobre 2023 »
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